Un accusé de kidnapping, dont le dossier de candidature aux législatives a été retenu, bénéficie d’une liberté provisoire. On pourrait croire à une farce de mauvais goût. Il s’agit, malheureusement, de la réalité. Une triste réalité.
Le ministre de la Justice a aussitôt suspendu, à titre conservatoire et en attendant l’examen du dossier par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les cinq magistrats concernés par la décision d’octroyer la liberté provisoire à Manantena Hajanirina Dina, celui qui aspire à un mandat électif. Mais le mal est fait.
Sans s’immiscer sur le fond du dossier judiciaire, la gestion de l’affaire Manantena Hajanirina Dina interpelle au plus haut point. Elle risque, dans tous les cas, de conforter l’incompréhension par les citoyens lambdas du fonctionnement du système judiciaire. Car le candidat aux législatives n’en est pas à son premier « fait d’arme » devant la justice.
Le Procureur de la République près du Tribunal de première instance de Toamasina l’avait fait arrêter, et l’avait accusé d’être le cerveau du kidnapping d’un opérateur économique du Grand Port en novembre 2018. Au moment des faits, il était pourtant déjà bénéficiaire d’une autre liberté provisoire, dans une affaire similaire. Impliqué dans une autre affaire de kidnapping à Antsirabe en avril 2016, avant d’être placé en détention préventive le 26 Mai de la même année, il avait ensuite obtenu une liberté provisoire.
Et comme si cela ne suffisait pas, la libération du prévenu par la chambre d’accusation à Toamasina intervient au moment du passage du Premier ministre Christian Ntsay dans le Grand Port. Ce dernier avait, pourtant, évoqué, entre autres, le dossier des enlèvements suivis de demande de rançons, avec les autorités locales lors de la séance de travail. Plus qu’une coïncidence, un pied de nez au gouvernement qui affirme déclarer la guerre contre le phénomène de kidnapping.
Les autorités auront beau annoncé leur intention de lutter contre le kidnapping, elles peuvent montrer auprès de l’opinion une volonté de mettre en place une structure, de mobiliser des ressources et d’équiper les services dédiés à ce combat, tout cela reste vain si les mauvais signaux, tel que le cas de Manantena Hajanirina Dina, continuent de persister.
Les forces de l’ordre avaient pris le risque de lancer une opération militaire pour libérer l’opérateur économique kidnappé à Toamasina, détenu par des hommes armés jusqu’aux dents, et ce contre l’avis des membres de la famille de la victime. Mais tant qu’un maillon de la chaîne du secteur sécuritaire reste défaillant, ces efforts risquent toujours d’être vains. Pire encore, le cas Manantena Hajanirina Dina, sans aller jusqu’à le crucifier sans procès, constitue un signe d’encouragement pour les malfaiteurs à sévir : ceux-ci se diront toujours qu’une fenêtre reste entrouverte pour leur permettre de se soustraire à la justice.
Les autorités ont promis le démantèlement des réseaux de kidnapping, mais comment croire à cette promesse quand les politiques pénales annoncées ne semblent même pas respectées ? Et comment aussi espérer que les « velirano » sur la lutte contre l’insécurité puissent aboutir ? Nul besoin d’être un expert en droit ou en sociologie pour décrire la corrélation entre l’état de la justice, sa réputation, et la recrudescence des vindictes populaires. Jean-Louis Andriamifidy, directeur général du Bureau indépendant de lutte contre la corruption (BIANCO) avait indiqué que « la sécurité, la justice et le foncier sont les domaines les plus touchés » par les doléances qui sont parvenues à leurs services en 2018. Sans vouloir faire un quelconque raccourci, la perception de l’opinion, faute de mesures concrètes et dissuasives, et en présence de mauvais signaux successifs, risque de persister.
On n’ira pas jusqu’à remettre en cause la détermination d’une personne placée en détention préventive, ni ses capacités à réunir les documents nécessaires à son dossier de candidature aux législatives afin de représenter le peuple à l’Assemblée nationale… mais tant que ce genre de grain de sable réussit à glisser dans la machine judiciaire, il sera aussi difficile que compliqué pour les autorités de convaincre l’opinion sur leur volonté, et leur capacité à assurer la sécurité des biens et des personnes, ainsi qu’à améliorer le climat des affaires et la sécurité des investissements, conditions nécessaires pour sortir le pays du marasme dans lequel il est plongé.