Certains paysans, résidant à Ambohitrimanjaka et tenant à leur terre, attendent de pied ferme les autorités dans la réalisation du projet de nouvelle ville « Tanà-Masoandro ». Le gouvernement se veut pourtant serein face à l’inquiétude de certains riziculteurs.
Rafidimanana, alias Bebe Rafidy, âgée de 75 ans est connue de tous ses voisins pour son militantisme contre la mise en œuvre du projet de nouvelle ville, Tanà-Masoandro, à Ambohitrimanjaka. Depuis son jeune âge, cette grand-mère s’est dévouée à la culture de sa terre. Elle affirme même « ne savoir rien faire d’autre ». Quand elle a entendu l’annonce du projet-phare du chef de l’État, prévu être implanté dans sa commune, elle a écrit des lettres aux autorités, depuis le président Andry Rajoelina en personne, en passant par le directeur général en charge des projets présidentiels, jusqu’à Christine Razanamahasoa, présidente de l’Assemblée nationale.
Bebe Rafidy est allée jusqu’à participer à une manifestation dirigée par un parti politique, dont le but est de s’opposer à l’initiative présidentielle, qu’elle juge « nuisible ». « Pour moi c’est clair : ce projet est en contradiction avec les objectifs du chef de l’État. Il souhaite une autosuffisance alimentaire et pourtant, il remblaie nos rizières. Celles-ci représentent cependant la nourriture, vitale pour notre subsistance. De plus, Madagascar est vaste, pourquoi ne pas réaliser son projet sur un site non-occupé, au lieu de nous prendre notre héritage ? », s’insurge-t-elle.
Ce combat, Bebe Rafidy ne le mène pas toute seule. Un groupe de paysans, mécontents de la réalisation du projet de la nouvelle ville dans la commune, promet de réagir au cas où l’État exécute la promesse présidentielle. « Nous n’avons pas besoin d’argent. J’ai une propriété de dix hectares et je ne compte pas la céder aussi facilement », assure Rasoa, cultivatrice. « Si l’État décide de commencer les travaux, même un nouveau-né descendra sur la place publique pour s’y opposer », s’engage Bebe Rafidy.
La première partie du projet Tanà-Masoandro, à savoir la viabilisation et à l’aménagement des voiries, est prévue être réalisée avant la fête nationale en 2020. Un remblai massif sur une surface de 379 ha est prévu. Selon le maire d’Ambohitrimanjaka, quatre communes, incluant 15 fokontany, sont concernés par cette première phase. C’est entre cette plaine séparant Ambohidrapeto et Ambohitrimanjaka que la première phase se fera plus précisément. « Ces personnes qui sont en colère sont des propriétaires ayant des terres près de la plaine », confie Gérard Andriamanohisoa, chef de file du projet Tanà-Masoandro et conseiller spécial du président de la République. À en croire les autorités, ce ne sont pas toutes les rizières d’Ambohitrimanjaka qui seront remblayées.
Pour l’heure, aucun terrain n’a été touché. D’après Mino Rabemihoatra, maire d’Ambohitrimanjaka, aucun responsable n’a encore effectué d’approche auprès des familles potentiellement concernées par une éventuelle expropriation. À l’entendre, ces dernières ne savent pas exactement si elles sont touchées, ou pas, par le projet. Une enquête de commodo et incommodo avait pourtant été réalisée, suivie de la création d’un cahier de doléances pour récolter les opinions des habitants. « Nous n’avons pas compté exactement, mais le cahier de 200 pages a été remplie en un rien de temps. Je dirai que la plupart des opposants sont des cultivateurs », confie Ainasolo Eonydson Ramanasinjatomanana, adjoint au maire.
Tension instrumentalisée
Pour le maire d’Ambohitrimanjaka, la population n’a aucune raison de s’inquiéter. « Je pense que, faute d’informations, les paysans s’affolent pour rien. Comme on est aussi proche des communales, certaines personnes instrumentalisent cette tension pour amener la population à se révolter, dans le but d’obtenir plus des voix lors des prochaines élections », croit savoir Mino Rabemihoatra.
De leur côté, les autorités s’attendent à une éventuelle résistance mais ne s’émeuvent pas pour autant, en se basant sur les expériences du passé. Gérard Andriamanohisoa avait rappelé que bien des décisions concernant l’urbanisme, amenant la colère de la population se sont réalisées. Il avait évoqué le cas des 67 hectares, qui étaient une rizière avant de devenir l’un des quartiers les plus populaires de la capitale. Les responsables du projet se veulent sereins face aux éventuelles résistances au projet et mettent en avant la loi pour gérer le dossier. « Les droits des propriétaires seront respectés. Ils auront 15 jours pour déposer des plaintes auprès de la justice, après la publication du décret d’utilité publique. C’est à elle de décider de leur sort par la suite, et non à nous », explique le file du projet Tanà-Masoandro.
Parallèlement, le maire d’Ambohitrimanjaka tente de calmer la population et de les convaincre d’adhérer au projet présidentiel. « Jusqu’à présent, l’État a suivi toutes les procédures légales concernant la réalisation de cette entreprise », tient-il à remarquer. D’après le chef de file de ce projet présidentiel, une commission indemnité-évaluation a été créée afin d’accomplir les premières enquêtes, ce qui a permis de recenser 500 ménages ayant des propriétés aux environs de la plaine d’Ambohidrapeto.
Il reste à savoir l’évaluation de la contrepartie que l’État compte offrir aux familles expropriées. Gérard Andriamanohisoa avait laissé entendre d’autres options que l’indemnisation pécuniaire. Il s’agit, entre autres, de la proposition d’octroi de terrains en échange de ceux qui sont récupérés par l’État pour les besoins de la nouvelle ville. Le conseiller spécial du président de la République rappelle également que le projet Tanà-Masoandro est un prolongement du projet d’élaboration du schéma directeur de développement de l’axe économique Antananarivo-Toamasina (TATOM), lancé en 2017. Selon celui-ci, l’intention de réaliser un « Grand Tanà » n’a pas été abandonnée, elle a juste été intégrée dans la concrétisation de la « nouvelle ville ».