La tolérance des disparités raciales ou ethniques, la tolérance des différences religieuses, la tolérance des clivages idéologiques, plongent leur ressort psychologique dans les douloureuses épreuves, physiques mais aussi morales, de la guerre mondiale de 39-45.
La «fin de l’histoire», célébrée par le livre de Francis Fukuyama (1992), est ce consensus de civilisation auquel notre Humanité est parvenue : la démocratie s’impose comme la norme politique, le multiculturalisme signe la mondialisation, le libéralisme régit une économie planétaire de marché.
À Madagascar, la «fin de l’histoire» religieuse s’était établie autour de la conversion de la Reine Ranavalona II et du Premier Ministre Rainilaiarivony au Christianisme, en 1869. Cette officialisation a christianisé chaque village de l’Imerina mais également ouvert les régions sous administration de la Capitale aux missions presbytérienne, catholique, luthérienne, anglicane. La pénétration française dans les régions reculées de l’île ne bouleversera pas cette situation, mais la confirmation de la ville d’Antananarivo comme capitale conduisit les communautés Karana musulmanes, d’abord principalement établies sur le littoral occidental, à converger vers les hautes terres centrales. Là aussi, une «fin de l’histoire» s’était établie dans une cohabitation banalisée. D’autant plus banalisée qu’aucune excentricité vestimentaire ne s’inscrivit dans l’espace public.
Eid Mubarak aux Musulmans de Madagascar. La philosophie acquise des leçons de 39-45 nous oblige à la tolérance. Mais, la tolérance n’exclut pas la vigilance. La question religieuse a récemment introduit de nouvelles lignes de fracture en raison du prosélytisme agressif de pays comme l’Arabie saoudite et de l’apparition d’un fanatisme islamiste qui ensanglante le Moyen-Orient, l’Afrique sahélienne, certaines villes européennes, voire une île aussi lointaine que le Sri Lanka.
L’irruption de femmes en burqa et niqab, à l’aéroport d’Ivato comme dans les rues de la Capitale, ou de Musulmans à longue barbe et en robe de facture arabe dans les faubourgs de Brickaville, ne peut qu’interpeller quand on sait à quelle intolérance est associée ce rigorisme. Les Karana, dont les Chrétiens malgaches avaient l’habitude, n’affichaient pas cette «excentricité» vestimentaire, capillaire ou pileuse. Originaires du Gujerat, dans le Nord-Ouest de l’Inde, les Karana, Musulmans ou Hindous, sont établis à Madagascar depuis la fin du 18ème siècle. Ils se revendiquent tout naturellement Malgaches quand leurs enfants se distinguent à Harvard ou quand ils apparaissent dans Forbes et ils reviennent se faire enterrer ou incinérer au pays. Ils ont publiquement annoncé s’associer à la visite à Madagascar du Pape catholique François, à partir du 6 septembre 2019.
La religion est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls religieux. La confiance n’exclut pas le contrôle et il est préjudiciable que l’administration malgache se prive d’un outil comme le recensement ethnique et religieux. Un pays aussi civilisé que le Royaume-Uni tient à jour ce type de statistiques. Cet outil informe sur les changements qui s’opèrent dans une société et permet d’anticiper ou de réguler. Le carnaval improvisé par certains Musulmans dans les rues de Mahamasina (à l’heure où les autres automobilistes respectaient le Earth Hour) laisse supposer le déplacement d’un curseur dans la composition ethnique et religieuse d’une Antananarivo autrefois largement majoritairement merina et chrétienne. Un autre curseur en translation serait celui de la majorité musulmane, qui a toujours été chiite à Madagascar. De ces curseurs, et de tant d’autres, le Ministère de l’Intérieur, qui est également celui du culte, est-il à jour ?