L’instauration de droits de douane à hauteur de 47 % sur les produits en provenance de Madagascar vers les États-Unis ne constitue pas uniquement un handicap pour les entreprises exportatrices malgaches. Cette mesure devrait également avoir des répercussions sur les activités des partenaires économiques américains de Madagascar. Le ministre de l’Industrialisation et du commerce, David Ralambofiringa, répond aux questions de 2424.mg sur cette problématique. Il fait le point sur l’entrée en vigueur de cette décision, tout en présentant les dispositions envisagées pour faire face à l’urgence. Entretien.
Qu’en est-il de l’entrée en vigueur de l’imposition de droits de douane à hauteur de 47 % sur les produits malgaches à destination des États-Unis ?
“Dans les faits, un taux de 10 % a été appliqué dès samedi dernier. Le taux de 47 %, quant à lui, devrait entrer en vigueur à compter du 9 avril, soit cette semaine. Durant cet intervalle, nous avons engagé des échanges avec l’administration américaine – notamment avec le Sénat, le Congrès, ainsi qu’avec l’USTR (United States Trade Representative), nos interlocuteurs privilégiés depuis l’administration Trump. L’objectif est de manifester notre volonté d’ouvrir un dialogue bilatéral avec les États-Unis, afin de leur exposer les atouts que Madagascar peut faire valoir dans le cadre de la mise en œuvre du principe de réciprocité qu’ils souhaitent instaurer. »
Madagascar est-elle la seule à subir les effets de cette décision ?
« La position adoptée par le gouvernement américain relève de sa politique intérieure, que nous respectons. Il nous revient de défendre la nôtre. Cependant, il est évident que cette mesure aura également des incidences sur les acteurs économiques américains. Des droits et des taxes à l’importation de 47 % impliquent inévitablement une hausse des prix sur le marché intérieur américain, phénomène déjà perceptible sur place, à en croire les premières réactions.
Parmi les leviers que nous envisageons d’actionner figure la mobilisation de nos clients installés aux États-Unis. Nous comptons sur eux pour relayer notre message, en soulignant que l’application effective de ce tarif douanier aura des conséquences sur l’emploi aux États-Unis eux-mêmes. En effet, beaucoup de produits exportés par Madagascar subissent des transformations supplémentaires sur le sol américain, ce qui contribue à la création d’emplois et à la disponibilité de produits à moindre coût aux Etats-Unis. La hausse même de 10 % sur les droits de douane a déjà pour effet de renchérir le coût de la vie aux États-Unis. »
Quelles sont les dispositions que vous envisagez face à l’urgence de la situation ?
« Nous avons pris l’initiative de solliciter une réunion entre l’ensemble du secteur privé et l’ambassadrice des États-Unis à Madagascar. Cette rencontre vise à favoriser un échange direct, permettant aux opérateurs économiques de poser leurs questions et de s’informer de manière transparente.
L’objectif est double : d’une part, assurer une circulation fluide de l’information ; d’autre part, élaborer une stratégie nationale concertée. Nous devons adopter une approche collective, unie et solidaire, sans chercher à désigner un quelconque responsable de la situation. L’urgence commande que nous identifiions ensemble des solutions durables afin de préserver les emplois menacés par l’éventuelle application de ces droits de douane, notamment dans les entreprises directement concernées par cette mesure pour lesquelles il faut trouver des solutions.
La réduction du déficit commercial, avancée comme justification dans le communiqué de l’ambassade des États-Unis, est-elle réaliste dans la pratique ?
Il est vrai que l’actuelle balance commerciale présente un déséquilibre, Madagascar exportant davantage vers les États-Unis qu’elle n’importe. Cela étant dit, cette situation pourrait évoluer avec la mise en œuvre de différentes stratégies, notamment dans le secteur minier – je pense en particulier au projet Base Toliara. De plus, les réformes économiques envisagées dans le cadre du deuxième pilier de la politique générale de l’État, axées sur la transformation économique et la transformation agricole, ouvriront de nouvelles perspectives de négociation avec les États-Unis. Néanmoins, la question de la compétitivité demeure centrale : il serait prématuré d’envisager une augmentation significative de nos importations en provenance des États-Unis sans une stratégie claire, partagée avec les opérateurs économiques malgaches. Les coûts liés à l’importation, notamment les frais de transport, varient fortement, que cela vienne des Etats-Unis ou d’ailleurs. Il est indispensable de procéder à une analyse approfondie. Dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas dire du jour au lendemain que nous allons importer davantage.
Quelle est la position de Madagascar concernant le principe de « réciprocité » souhaité par les États-Unis ?
« Dans la perspective d’une réciprocité commerciale, il convient de s’interroger sur la réelle portée d’une baisse des droits et taxes à l’importation de produits en provenance des États-Unis : cette mesure permettrait-elle véritablement d’accroître le volume de nos importations ? Il faut rappeler que ce que nous importons essentiellement des États-Unis sont des équipements, des véhicules, des marchandises à très forte valeur ajoutée.
Une diminution des tarifs (par Madagascar) pourrait certes favoriser une hausse des volumes, mais son impact global resterait limité. Ce n’est pas l’instauration d’un tarif douanier à 0 % qui, à elle seule, inverserait la tendance. Il faut aussi prendre en compte la distance, les coûts logistiques…
Par ailleurs, nous devons veiller à rester en conformité avec nos engagements au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment sur les règles régissant les membres de l’OMC. Nous devons être vigilants car l’octroi de tarifs préférentiels ne peut se faire à la légère, car cela impliquerait de les étendre à l’ensemble des membres de l’OMC. La prudence s’impose donc. »
Qu’en est-il de l’avenir de l’Agoa?
« L’AGOA est toujours en vigueur à ce jour. Il faudra attendre le mois de septembre pour connaître la décision relative à son éventuel renouvellement. Il est vrai que l’application des droits de 47 %, du Système généralisé de préférences (SGP), ainsi que du régime de l’AGOA se superposent en ce moment, et nous travaillons avec le Congrès américain afin de déterminer lequel prévaudra.
Pour l’heure, l’AGOA continue de s’appliquer tant qu’aucune décision de non-renouvellement n’a été prise. »
Espérez-vous un renouvellement ?
« Nous ne saurions ignorer un mécanisme qui a largement contribué à notre développement. Les discussions sont toujours en cours, elles ne sont pas closes. Nos efforts portent à la fois sur la reconduction de l’Agoa, mais également sur l’ensemble des dispositifs douaniers qui nous concernent. »
Ne serait-il pas temps pour Madagascar de diversifier ses marchés afin d’éviter de telles tensions commerciales ?
« Vous avez raison, et c’est une démarche que nous avons déjà amorcée depuis un certain temps. Il est impératif de ne pas dépendre d’un seul marché ou d’un seul produit.
Cela dit, la priorité actuelle demeure la gestion de la crise immédiate. Dans les prochaines semaines, nos efforts se concentreront sur les mesures urgentes à mettre en place. Cela ne nous empêche nullement de poursuivre activement notre ouverture vers d’autres marchés. »