Ranavalona 1ère, 28 juillet 1828 – 16 août 1861. Il y a 158 ans disparaissait une souveraine caricaturée par la littérature occidentale et diabolisée par la tradition chrétienne. Les deux tiers de son long règne, de juillet 1836, date du départ des derniers missionnaires britanniques, à sa mort en août 1861, furent caricaturés en «Tany Maizina», période obscure, temps de deuil.
Et pourtant ses 33 ans de règne ne furent pas que hécatombes de zébus et persécutions des Chrétiens. Il faut situer ses décisions dans le contexte malgacho-malgache de cette époque ainsi qu’à la lecture du choc frontal de la société traditionnelle avec les innovations apportées par les missionnaires britanniques en particulier, et les visiteurs européens en général.
Le 18 juillet 1857, aux Laborde, Lambert, Finaz, Webber, Pfeiffer, la Reine reprochera notamment : «Vous avez voulu établir la république, affranchir les esclaves, établir l’égalité de tous sans distinction de nobles», «Vous autres, vous n’avez pas de rois, mais vous êtes des républicains, vous entraînez les gens à penser comme vous, vous cherchez à changer le gouvernement et à supprimer les esclaves» (Adrien Boudou, Le complot de 1857, Imprimerie moderne de l’Emyrne, 1943, p. 48 et 68).
Dans sa thèse de doctorat, Bakoly Domenichini-Ramiaramanana souligna que «la collecte des hainteny sous cette reine, et, sans aucun doute, à son initiative, semble avoir été un point d’un vaste programme politique de sauvegarde et de promotion de la société et de la culture malgaches traditionnelles» (Du Ohabolana au Hainteny, Karthala 1983, p.233). La cohérence de cette politique générale de sauvegarde du fonds authentiquement national l’obligeait à cette hostilité envers les doctrines chrétiennes dont le discours égalitaire était proprement révolutionnaire et menaçait les fondements mêmes de la société féodale de cette époque.
Sur le plan intellectuel, Bakoly Domenichini-Ramiaramanana fut une des premières à avoir réhabilité la contribution essentielle de Ranavalona 1ère qui fit procéder à une collecte des hainteny : «Ranavalona I et les hainteny ou la valeur exemplaire d’une collecte de textes traditionnels» (Annales de l’Université de Madagascar, série Lettres et sciences humaines, n°9, 1968) et «Hainteny d’autrefois, Poèmes traditionnels malgaches recueillis au début du règne de Ranavalona I» (Librairie Mixte, 1968).
Ranavalona avait autorisé la venue et le séjour de Baker (octobre 1828) et de Freeman (juin 1830), inaugurant une collaboration intellectuelle avec les Malgaches Raharolahy, Ramarotafika et Rasatranabo, qui durera de décembre 1829 à juin 1835. C’est notamment grâce à la contribution de ces derniers que put paraître, avec la caution de Ranavalona, le dictionnaire bilingue de 1835.
Certes préparés de longue date, plusieurs ouvrages fondamentaux n’en appartiennent pas moins à l’ère de Ranavalona 1ère : les dictionnaires malgache-anglais et anglais-malgache de David Johns avec la collaboration de Raharolahy (1835), le dictionnaire de Joseph John Freeman avec la collaboration de Ramarotafika et Rasatranabo (1835), l’Histoire de Madagascar de William Ellis (1838), la grammaire d’Edward Baker (1845), le dictionnaire de Joseph Webber (1853 et 1855), la grammaire de David Griffiths (1854). Sans oublier l’impression du Nouveau Testament (1830) et l’achèvement de la Bible (21 juin 1835).
Ranavalona avait inauguré son règne en liquidant les proches parents de son époux et prédécesseur : rien de révolutionnaire puisque ce dernier, dont la mère était du Marovatana, avait fait assassiner plusieurs Avaradrano de la proche famille de celle qui était encore la princesse Imavo. Ranavalona n’était pas non plus ce puits sans fond d’ingratitude : quand, le 23 juin 1830, après dix ans de séjour et de labeur, David Jones, le parrain de l’alphabet-abidia, quitte Antananarivo, Ranavalona 1ère ordonna qu’il fût salué au son du canon. En juillet 1857, faisant expulser Jean Laborde, compromis dans le complot Lambert, elle lui accorda la permission exceptionnelle d’emporter ses biens meubles et de rester un jour de plus contrairement à ses complices, expulsés dans l’heure : Ranavalona n’avait pas oublié que la cité industrielle, de celui qu’elle fit naturaliser andriamasinavalona, avait fabriqué les armes que les soldats merina opposèrent au débarquement français de 1845 à Tamatave.
Radama a certainement permis l’arrivée des premiers missionnaires qui s’employèrent à fixer l’abidia (l’alphabet) malgache et formèrent les Roambinifololahy (les douze premiers élèves). Mais, les Reines Ranavalona 1ère et Rasoherina (1864-1868) surent reconnaître leurs compétences et les envoyèrent comme ambassadeurs à Londres : Raharolahy et Rasatranabo en mars 1837 ; Rasatranabo-Rainandrianandraina et Ralehimaholy-Rainifiringa en mars 1864.
Cette ambassade de 1837 avait proposé que les Britanniques fournissent une assistance technique mais sans prosélytisme religieux. Malentendu dont Ranavalona ne porte pas la seule responsabilité. Deux ans auparavant, le 1er mars 1835, Ranavalona avait fait interdire le christianisme et les deux derniers missionnaires, Johns et Baker, avaient déjà quitté Antananarivo en juillet 1836.
Ranavalona ne fut pas Catherine II de Russie (impératrice de 1762 à 1796), surnommée «La Grande» ou «La Minerve des Arts». Née dans une Europe en effervescence culturelle et baignant au confluent des courants intellectuels les plus brillants, Catherine II parlait l’allemand (sa langue maternelle), le français (des Lumières, ses protégés : Voltaire, Diderot, d’Alembert) outre le russe (de ses millions de sujets). Avec Catherine II, Ranavalona partagerait peut-être le surnom de «Messaline», pour les nombreux amants qu’on leur prêta, ou d’avoir succédé difficilement à leur époux : coup d’État en Russie, légitimité questionnée à Anatirova.
Mais, Ranavalona n’avait pas été envoûtée par un Raspoutine, âme damnée d’une autre Romanov, Alexandra Feodorovna. Les décisions de Ranavalona avaient la cohérence d’un objectif clair : la spécificité de sa culture et de sa société héritée de la dynastie des Roambinifolomanjaka. Son identité, dirait-on plus tard. Une attitude qui n’était pas plus condamnable que celle d’un Bismarck ou d’un de Gaulle. Certes, sans les correctifs de l’instruction et la culture générale de l’Histoire majuscule.
POST-SCRIPTUM :
Discours du porteur de la lance «Tsi-tia-lainga», huissier des décisions de justice, lors de la seconde et définitive expulsion de David Griffiths en septembre 1840, alors qu’il s’adonnait à l’exfiltration clandestine de Chrétiens vers l’île Maurice : «Meloka ianao. Raha mba terak’ity tany ity ianao, dia maty mihitsy ny ainao, natao tsy tratry ny masoandro milentika akory. Saingy vahiny ary ianao, sady nahavita soa tamin’ity tany ity tany aloha, ka noho izany, tsy matin’Itompokovavy ny ainao. Koa izao no tenin-dRanavalomanjaka : saziko dimampolo amby zato vidin-doha ianao, ary mialà eto Antananarivo miaraka amin’izay, ndeha mody any amin’izay mba tanindrazanao, ka aza miverina eto Madagasikara intsony mandrakizay» (Si seulement vous aviez été un enfant de ce pays, vous y auriez laissé votre vie et l’on n’aurait même pas attendu que le soleil se fût couché ; mais, vous êtes un hôte-étranger et vous avez autrefois rendu des services appréciés à ce pays, et c’est pourquoi la Reine vous laisse la vie sauve. Voici donc la sentence de Ranavalomanjaka : je vous inflige une amende de 150 piastres pour rançon de votre tête, et je vous ordonne de quitter aussitôt Antananarivo. Rentrez dans ce qui est d’ailleurs votre patrie, et ne revenez plus jamais à Madagascar), in Du Ohabolana au Hainteny, p.238.













