La diffusion d’une enquête diffusée par British broadcasting corporation (BBC), basé à Londres, lundi, donne d’autres détails croustillants sur la présence, et l’intervention, de ressortissants russes à la présidentielle de 2018.
Le pasteur et candidat André Christian Dieu Donné Mailhol avait déjà clamé le « soutien russe » à sa campagne lors de la présidentielle de 2018. Cette fois-ci, il livre des éléments concrets de ses contacts avec des Russes. «Le paiement était cash (…) C’est eux qui ont payé la caution de l’élection (…) Ils m’ont proposé de signer un document : « Vous êtes huit à neuf candidats soutenus par les Russes, si l’un de vous arrivent en premier, vous allez tous soutenir ce candidat ». Comme je savais que j’arriverais premier, j’ai signé », a-t-il confié.
Le candidat Jean Omer Beriziky confirme la démarche. « Je pense qu’ils ont approché plusieurs candidats, y compris moi. Ils m’ont demandé si j’étais prêt à ouvrir la diplomatie malgache vers d’autres horizons. J’ai répondu, mais bien évidemment. Et ils ont dit : nous allons vous aider », soutient l’ancien Premier ministre. Ce dernier livre même le montant promis par ces ressortissants russes : « À peu près deux millions de dollars. Ils ont même dit que c’était insuffisant. Qu’ils allaient donner un peu plus ».
L’ancien chef du gouvernement évoque des demandes particulières formulées par leur donateur. « Ils décident de ce que nous devons faire, et nous devons juste le faire. Nous devons exécuter », témoigne dans l’enquête Onja Rasamimanana, responsable de campagne de Jean Omer Beriziky. Plus tard, une demande de retrait de candidature a été formulée, concède encore Jean Omer Beriziky. Celui-ci affirme avoir été invité à apporter son soutien à un autre candidat, une requête qu’il n’a pas acceptée.
Toujours est-il qu’à l’époque, une seule candidate, Saraha Rabeharisoa, s’est désistée durant la campagne au profit du candidat Andry Rajoelina. L’enquête ne fait cependant pas le lien entre ce désistement et la requête russe même si la candidate fait partie des candidats ayant participé à un événement censé avoir été organisé et financé par les Russes durant la période de pré-campagne. Contactée, Saraha Raberisoa n’a pas pu être jointe au téléphone. Le candidat, plus tard élu à la tête de l’État, Andry Rajoelina, avait été interrogé dans l’enquête diffusée par BBC. Ce dernier avait précisé qu’il n’est « pas candidat d’un pays » mais celui « de tout le monde » et « du peuple malgache », sans répondre à la question relative au soutien russe à sa campagne.
L’on attend ainsi le rapport de la Commission de contrôle du financement de la vie politique, pour en savoir plus sur l’origine des fonds utilisés par les candidats. Ladite commission contrôle, entre autres, la légalité des recettes perçues et le caractère électoral des dépenses effectuée. Toujours est-il que les financements en provenance de l’étranger, à condition qu’ils n’émanent pas d’un État n’est pas interdit par la loi malgache. Les dispositions initiales qui avaient formulé cette interdiction avaient été contestées sur la Place du 13 Mai, puis avaient été jugées « anticonstitutionnelles » par la Haute cour constitutionnelle (HCC).
Pour l’heure, des zones d’ombres entourent encore cette présence russe, privée ou pas, à la présidentielle. « À cette époque, je ne savais pas qui les a envoyés. Mais ils étaient Russes. Je ne sais pas si c’est l’État russe, le gouvernement russe, ou des sociétés, tout ce que je sais c’est qu’ils viennent ici pour me soutenir, et je ne vais pas chercher midi à 14 heures », concède le pasteur André Christian Dieu Donné Mailhol .
Andreï Soshnikov, correspondant de BBC Afrique en Russie, donne son impression sur les activités de certains ressortissants russes à Madagascar. « Il y a des possibilités que ces gens soient des touristes. Mais c’est un type spécial de vacances parce qu’ils visitent un pays pendant les élections, et cela paraît plus que des vacances, plus que du tourisme. Parce que les Russes sont engagés dans un processus intéressant en Afrique actuellement », avance-t-il dans le reportage.
« Sale boulot »
Andreï Soshnikov s’avance un peu sur les possibles intérêts des personnalités présentes dans la Grande île durant la présidentielle. « Est-ce que vous pensez qu’ils ont des intérêts personnels en Afrique ? Qu’ils en ont quelque chose à faire de Madagascar, que Madagascar est leur choix ? Pas du tout. Ce sont juste des gens que l’on peut recruter pour faire n’importe quel travail, le sale boulot pendant les élections », observe-t-il, alors que l’identité des « recruteurs » n’est pas explicite. « Ils viennent à Madagascar pour soutenir quelques candidats, pour travailler contre quelques candidats, pour faire un deal avec le futur gouvernement », poursuit-il. Toujours selon le reportage diffusé sur BBC, l’un des individus cités n’a pas commenté l’affaire. Un autre évoque sa présence « pour une étude socio-économique » car il « n’a pas le droit d’influencer mais d’observer ».
La présence russe durant la période électorale ne se limite pas au soutien aux candidats. Parallèlement à des contacts et des accords évoqués par ces derniers, une ONG russe était aussi active dans la Grande île durant la campagne électorale. Il s’agit de l’Organisation internationale d’observation des élections (CIS-EMO), qui avait envoyé des Russes et des ressortissants africains dans sa délégation. L’équipe avait, entre autres, organisé le programme de sondage à la sortie des urnes ou « exit poll », pourtant interdit par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et d’un atelier sur les élections.
Ce n’est pas la première fois que la présence russe lors de la présidentielle de 2018 est évoquée par la presse internationale. Le journal britannique, The Times, évoquant des journalistes d’investigation, avait déjà publié un sujet sur la question, plaçant le cas malgaches dans une large activité russe organisée en Afrique, au mois de mars.
Mais le débat sur cette présence russe n’est pas seulement limitée en Afrique. The Times rapporte des « allégations d’ingérence dans les élections occidentales, ce que nie le Kremlin ». L’on se souvient par exemple de l’histoire qui a défrayé les chroniques sur une présumée influence russe lors de la présidentielle américaine de 2016 dans un contexte de tensions, à travers des crises comme en Ukraine, en Syrie ou en Libye, provocant certaines remarques des pays occidentaux envers le pays de Vladimir Poutine.
Pour en revenir au cas malgache, au-delà de la période électorale, les relations diplomatiques entre la Russie et Madagascar, ont connu un regain d’activités ces derniers temps. Hery Rajaonarimampianina, alors président de la République, s’est déplacé à Moscou pour un road-show économique, en présence de plusieurs ministres russes dont Serguei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, en mars 2018. Le chef adjoint d’état-major général des forces armées russes est, par exemple, venu à Antananarivo lors de la signature d’un protocole d’accord militaire avec la Grande île.
Dans l’actualité de 2018, l’on a pu noter également le bref échange entre l’ancien président, devenu plus tard candidat Didier Ratsiraka, avec le président russe Vladimir Poutine en marge de la Coupe du monde de football en Juillet 2018. La rencontre avait été rapportée par le site Web officiel de l’ancien chef de l’État. L’accroissement de l’intérêt économique russe est aussi palpable. La présence récente de société Ferrum mining, par le biais d’une joint venture, au sein de Kraoma mining, pour l’exploitation de chrome, en est l’illustration.