J’ai grandi en buvant l’eau du robinet de la JIRAMA (qui n’était plus Eau et Électricité de Madagascar à partir de 1975). Elle était limpide, cristalline, fraîche. Inodore et incolore, elle n’en était que meilleure. Elle était «si pure si nature» avant ses concurrentes eaux minérales embouteillées qui, alors, ne faisaient partie, ni du paysage ni du vocabulaire.
Aujourd’hui, quarante-cinq ans après la nationalisation des Eaux et Électricité, l’eau du robinet est trouble, effervescente, suspecte. Les bouteilles d’eau minérale envahissent les rayons des supermarchés et encombrent les étagères domestiques. Le geste simple d’ouvrir le robinet et de s’y désaltérer s’est compliqué d’une succession de précautions : il faut la laisser se décanter, il faut la filtrer, il faut la bouillir.
Au Moyen-âge européen, les curés avaient inventé les bières d’abbaye qui étaient le plus sûr moyen de ne pas boire de l’eau croupie et d’échapper au choléra qui ravageait des populations entières. Sans doute pour les mêmes raisons, les Ntaolo malagasy avaient inventé le «ranonampango» ou «ranovola», cette décoction de la croûte grillée, «manitra», après cuisson du riz.
L’eau, de trouble, viendra à manquer. Elle ne coule déjà plus aux robinets de nombreux quartiers de la Capitale, la ville la mieux équipée de tout Madagascar. Le vocabulaire récemment découvert, «étiage», nous deviendra de plus en plus familier, et de plus en plus tôt dans la saison. Il pleut de novembre à mars et il en pleut 60% sur les mois de décembre, janvier et février : jusqu’à quand ?
Une étude «Approvisionnement en Eau et Assainissement de Tananarive» (confiée par l’Organisation mondiale de la santé à l’Omnium Technique OTH et qui s’est déroulée pendant 25 mois, entre le 1er juin 1973 et le 30 juin 1975) évoquait une amenée depuis Tsiazompaniry qui s’effectuerait naturellement par le biais de l’Ikopa, car la véritable ressource provient de la retenue de Tsiazompaniry qui régularise l’Ikopa, laquelle recharge la nappe, et que les meilleurs points d’exploitation des eaux superficielles de l’Ikopa et des eaux souterraines de l’Ikopa se situent à l’amont de la Ville, dans le secteur d’Alasora, dont les ingénieurs avaient pensé pouvoir refouler sur Mandroseza les eaux souterraines.
Cette étude d’il y a 44 ans passait en revue la réalité à laquelle nous sommes définitivement confrontés en 2019 : la tuberculinisation interne des conduites de fonte grise du réseau par incrustation de fer, les 250.000 m3 d’eau en besoin quotidien du Grand Tana, l’alimentation autonome de la commune d’Ambohitrimanjaka à partir de la nappe alluviale de l’Ikopa…
Certaines questions seront de moins en moins taboues : la limitation des naissances vient d’être soulevées par le Ministre de l’Économie et des Finances. La régulation des migrations intérieures se posera un jour ou l’autre : les ressources en eau d’Antananarivo ne sont pas indéfiniment extensibles. En 1975, on pouvait encore écrire qu’il pleut en moyenne 1.360 millimètres d’eau par an à Antananarivo tandis que l’évaporation moyenne est de 1.170 mm par an : ces valeurs doivent avoir été mises à mal par le réchauffement climatique. On a également oublié ce grand lac de retenue, réservoir des eaux de pluie qui ne se perdraient plus inutilement à la mer et plan nautique écologique, qui apporterait une fraîcheur bienvenue.
Antananarivo n’a ni vocation ni capacité à abriter tout Madagascar. La pertinence d’une nouvelle Ville n’est pas en cause, mais elle pourrait se situer au-delà du premier cercle du Grand Tana : un Grand Arivonimamo, par exemple, autour de l’ancien aérodrome international. Pour sauver Antananarivo, il faudra multiplier Antananarivo : des villes aussi bien équipées en hôpitaux, en écoles et universités, en centres culturels, en usines pourvoyeuses d’emplois, en services publics. En eau potable. En tout ce qui attire les populations à Antananarivo parce qu’elles ne les trouvent pas chez elles. On a trop longtemps oublié la décentralisation : la périphérie s’anémia, le centre s’asphyxia.