Rappelez-nous la naissance de Madagascar Airlines ainsi que ses statuts ?
Madagascar Airlines est née de la collaboration entre les différentes sociétés filiales d’Air Madagascar. Quand les procédures de redressement judiciaire d’Air Madagascar et de Tsaradia ont été enclenchées, suite à une décision de justice en date de novembre 2021, une autre décision de justice en date de décembre 2021 avait indiqué qu’il fallait une nouvelle société pour poursuivre les activités des deux compagnies. C’est ainsi que Madagascar Airlines est née. C’était l’une des propositions soumises dans le cadre du redressement judiciaire d’Air Madagascar et de Tsaradia. En d’autres termes, ni Air Madagascar ni Tsaradia ne peuvent plus exercer dans le secteur du transport aérien national car la gestion de leur fonds de commerce est déjà confiée à Madagascar Airlines. D’ailleurs, plus tard, Madagascar Airlines a déjà obtenu son CTA (Certificat de transporteur aérien) ainsi que sa propre licence. Donc, c’est elle qui, actuellement, a le statut de compagnie nationale. Et cela est accepté et reconnu aussi bien par l’Etat malgache que par nos partenaires extérieurs. Donc, il n’est plus question que Air Madagascar revienne dans le transport.
Donc, à qui appartient Madagascar Airlines et qui sont ses principaux actionnaires ?
L’actionnaire majoritaire de Madagascar est MGH (Madagascar Ground Handling) dont je suis la PCA (présidente du Conseil d’administration). Madagascar Ground Handling est actionnaire à hauteur de 78,90%, et j’en suis la PCA. 10% appartiennent à Air Madagascar, 10% à Tsaradia et c’est pourquoi 1% appartiennent à des investisseurs.
A la naissance de Madagascar Airlines, le PCA était l’actuel PCA, Monsieur Mamy Rakotondraibe. Mais en raison des affaires judiciaires qu’il a traversées, il a dû m’adresser une lettre en avril 2022. Et c’est depuis cette date que j’ai assumé les fonctions de PCA. J’ai d’abord été PCA par intérim, puis, il y a eu une élection le 15 novembre 2022, et j’ai été élue PCA. Maintenant, il est à nouveau PCA parce qu’il a été acquitté par la justice et que les poursuites dont il a fait l’objet ne sont pas fondées. Donc, il a écrit une lettre indiquant sa volonté de reprendre ses fonctions de PCA. Et comme je suis quelqu’un qui apprécie l’apaisement et qui aime cette entreprise, et donc, c’est le premier motif de ma démission. Mais le deuxième motif [de ma démission] est la divergence de vues qu’il y a entre moi et le directeur général [de Madagascar Airlines] dans la gestion de la compagnie. Parce que personnellement, j’ai été contre la suspension des vols internationaux. J’ai aussi été contre les forts taux d’irrégularités. J’ai été contre les dépenses inutiles qui étaient trop importantes. Mais la divergence de vues concerne surtout la gestion financière, le plan de redressement et le plan d’amélioration de l’entreprise dont on ne voit vraiment pas d’où il vient alors qu’il a rejeté ce que nous avons proposé.
Comment justement expliquer ces pertes colossales d’une compagnie qui est pourtant relativement jeune ?
On avait élaboré un plan d’affaires en 2021, et il était prévu que durant la première année, il y ait une perte de 30 millions de dollars. C’étaient les prévisions. Cela devrait baisser jusqu’à 20 millions de dollars sur la deuxième année, 10 millions de dollars pour la troisième année puis, nous devrions atteindre l’équilibre. C’est la règle de la gestion d’entreprise, surtout dans le secteur aérien. Les pertes sont prévues, mais il est important que ces pertes soient soutenables. En 2022, alors qu’on avait pensé qu’il y aurait 30 millions de dollars de pertes, il n’y a eu que 18 millions de dollars sur Madagascar Airlines. Au départ, en avril 2002, quand on a commencé les vols, on n’avait que deux avions pour assurer les vols domestiques. En décembre 2022, quatre avions pouvaient voler et pouvaient assurer tous les vols domestiques ainsi que des vols vers les îles sœurs. A l’époque, on pouvait assurer une fréquence de trois vols hebdomadaires vers la France, le plus gros marché de Madagascar Airlines.
Votre plan comprenait le recrutement d’un nouveau DG, ainsi que l’acquisition de nouveaux aéronefs. Mais cela n’a pas abouti. Pourquoi ?
En décembre 2022, le 7 décembre plus précisément, le nouveau directeur général de Madagascar Airlines a été officiellement présenté. Il a été recruté pour ses années d’expériences, 35 ans dans le transport aérien. Sauf que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. En une année, la compagnie a enregistré une perte de 45 millions de dollars, un an après [son recrutement]. Alors qu’on avait espéré une diminution des pertes de 18 millions de dollars enregistrées en 2022. Si ce directeur général avait mis en œuvre le plan que nous avons proposé en 2021-2022, notamment l’acquisition d’un Embraer, enfin, de deux Embraer en 2023, dont le deuxième en décembre 2002, de deux Dreamliner en septembre 2023 et en janvier 2024. Tout cela était envisagé, mais ne s’est pas réalisé, en raison, je le dirai crûment, de la mauvaise gouvernance au sein de la compagnie, sous la direction du directeur général. Résultats aujourd’hui, on n’a plus d’avion, on n’a plus de lignes internationales. La compagnie est actuellement en difficultés. Si je ne m’y étais pas opposée, cela ferait très longtemps que nous aurions vécu la situation actuelle. C’est triste, mais c’est pour cela, pour cette divergence de vues que j’ai préféré me retirer du poste de PCA.
Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec la suspension des lignes internationales ?
Je ne suis pas favorable à la suspension des vols internationaux. Les raisons sont simples : Madagascar est une île. Nous devons avoir la fierté nationale, celle de pouvoir transporter les passagers jusque chez nous avec notre compagnie nationale. Dire que les vols internationaux nous font perdre 2 millions de dollars par mois n’est pas fondé. C’est faux et j’ai les chiffres. Ce que je peux dire, c’est que les pertes sur les vols internationaux n’excèdent pas 100 000 euros par rotation. Donc, sur un mois, si on fait un vol par semaine, cela fait 400 000 dollars de pertes. Si on est à deux vols par semaine, c’est 800 000 dollars. C’est très loin des 2 millions évoqués. Surtout que ce qui a été fait, et que j’ai contesté depuis le début, c’est la réduction de la fréquence à un vol hebdomadaire. Et c’est quand même étonnant quand on voit que les compagnies sœurs, qui sont aussi concurrentes de Madagascar Airlines, ont droit à des vols sept jours par semaine pour desservir Madagascar à l’international, cinq jours par semaine au minimum, trois jours par semaine pour certaines. Comment accepter que nous, compagnie nationale, ne puissions pas desservir notre île pour en faire une fierté ? Si les gens viennent chez nous, c’est parce qu’ils souhaitent vivre l’hospitalité malgache. Et c’est ce que nous devons poursuivre. Nous devons trouver des solutions pour avoir des pertes soutenables. Si les plans que nous avons proposés depuis le début ont été suivis, on ne serait plus dans ce wetlease, ou ACMI (Aircraft, Crew, Maintenance and Insurance) dont ils parlent et qui ont conduit à ces pertes qu’ils considèrent importantes. Si on avait suivi les plans que nous avons proposés, nous serions aujourd’hui en possession des Dreamliner.
L’Etat n’a-t-il pas déjà accordé une garantie souveraine dans le cadre de ces acquisitions ?
En 2021-2022, nous nous sommes battus pour demander au gouvernement cette garantie souveraine. Nous avons signé une lettre d’intention d’acquisition en dry lease des aéronefs. Nous avons fait cette demande et nous avons obtenu la garantie souveraine de l’Etat à hauteur de 20 millions de dollars, dont une partie, environ 2,9 millions de dollars pour Embraer, et 9,7 millions de dollars pour Boeing, les deux entreprises auprès desquelles nous comptions louer les avions. Tout cela a nécessité beaucoup d’efforts, mais il [le directeur général] n’en a pas tenu compte.
Or, nous sommes obligés d’assurer la desserte internationale [de Madagascar]. car je le disais, nous sommes une île et nous avons notre souveraineté. C’est une obligation et une nécessité. Mais il faut le faire de façon plus intelligente qu’avant.
Le carburant [aviation] à Madagascar est parmi les plus chers. On est le deuxième en termes de prix élevé après Mayotte.
Mais pourquoi avoir insisté pour acquérir les Dreamliners ?
L’avion qui nous convient le mieux, selon les études faites par les techniciens malgaches, c’est le Boeing 787, la Dreamliner. Pourquoi ? Parce que nous avons une très haute altitude sur Antananarivo, et nos pistes sont de 3 000 mètres. Or, l’Airbus [A330] ne peut pas décoller à pleine charge chez nous parce qu’il est plus lourds. Ils ont les mêmes capacités, mais les composantes de Boeing sont moins lourdes, et la Dreamliner peut démarrer à pleine charge. Donc, si 252 passagers sont prévus partir, 252 passagers avec 8 tonnes de fret minimum, voire plus, peuvent décoller à Antananarivo. Mais si on a un Airbus 330, on ne peut pas dépasser les 220 passagers et on ne peut pas non plus assurer le fret, car sa capacité est de moins de 8 tonnes. C’est cela la différence entre les deux. Par ailleurs, la Dreamliner permet d’économiser du carburant parce qu’elle consomme 17% de moins que l’Airbus 330. C’est pourquoi on a fait ce choix. Parce que le carburant [aviation] à Madagascar est parmi les plus chers. On est le deuxième en termes de prix élevé après Mayotte. A Mayotte, le jetfuel est à 1,8 dollars le litre. Chez nous, il est à 1,5 dollars – 1,7 dollars le litre. C’est très cher, comparé à la Réunion où il est à 85 centimes.
Pour le choix d’Embraer en particulier, le type E2, que nous avons signé au cours d’une cérémonie grandiose à Iavoloha, permet d’économiser jusqu’à 20% de carburant. Donc, il est plus intéressant en termes d’exploitation, et peut décoller full pax partout, sauf à Diégo où il y a des obstacles. Si l’Embraer a une capacité de 96 places, il ne peut partir de Diego qu’avec 80 pax. C’est le seul inconvénient. Or, avec les ATR, sur Diego, on peut pas dépasser les 50 pax. Parce qu’il y a des risques d’accident, en raison des vents forts qu’on y enregistre et de la présence de la montagne d’Ambre qui se trouve en face de l’aéroport et qui constitue un obstacle. Sans parler de la piste qui est un peu courte. Tout cela doit être pris en compte quand on choisit les avions pour composer une flotte : les pistes, le climat, etc.
Air Madagascar et Tsaradia ont-elles encore un avenir ou leur histoire est-elle terminée ?
Air Madagascar et Tsaradia, et c’est mentionné dans le plan qu’on avait, devraient rester des compagnies de gestion des actifs. Air Madagascar dispose d’un certain nombre d’actifs. Madagascar Airlines, par exemple, est un actif d’Air Madagascar, idem pour MGH où il dispose de capitaux. Tout comme Sofitrans, Amadeus, ainsi que d’autres entreprises dont une que l’on va créer. Sans parler de ses actifs de compagnie aérienne. Quand une entreprise est en redressement judiciaire, il y a ce qu’on appelle la période de redressement durant laquelle on met en place le plan de concordat. Quand ce plan est adopté par l’assemblée concordataire, la compagnie continue d’exister pendant cinq ans, mais elle ne peut pas assurer des exploitations. Elle doit juste assurer la gestion des actifs, c’est-à-dire, percevoir les dividendes provenant de ses filiales. C’est le groupe Air Madagascar.