À Madagascar, l’accès aux soins reste difficile pour les familles les plus démunies et pour ceux qui travaillent dans le secteur informel. Les autorités ont mis en place un système de couverture de santé universelle mais celui-ci tarde à être effectif. Le fonds d’équité mis en place depuis 2003 n’a pu être que très peu mis en œuvre.
Le tournage du reportage sur les bouquinistes d’Ambohijatovo se termine avec l’interview de Bertine, 70 ans, commerçante dans ce marché de livres. Le cadreur va éteindre sa caméra mais la vieille dame refuse de rendre le micro. « J’ai encore un message à transmettre aux dirigeants. Considérez le petit peuple, car les frais d’hôpitaux sont trop chers. Nous préférons mourir à la maison qu’aller à l’hôpital », lance-t-elle. « Pour nous soigner, nous sommes obligés de vendre nos biens ou de faire appel à la solidarité familiale », poursuit-elle.
Et lorsque les biens matériels sont vendus, lorsque les proches ont épuisé tout ce qu’ils pouvaient offrir, certains patients et leurs familles se voient obligés à lancer des appels à l’aide d’urgence dans les médias et sur les réseaux sociaux. « Je ravale ma fierté, et je lance cet appel car il y va de la vie de ma chère et tendre épouse, souffrant d’une insuffisance rénale », écrivait un artiste alors que sa femme allait mal et nécessitait un traitement lourd et particulièrement coûteux.
Dans d’autres cas, ce sont des associations qui lancent un appel à solidarité au bénéfice de certains patients nécessiteux, ne disposant pas d’un réseau de connaissances leur permettant de recourir aux chaînes de solidarité. Dans beaucoup de cas, les familles ne peuvent rien faire d’autre que d’attendre ce que le sort leur réserve ou réserve à leurs parents faute de moyens pour l’achat des médicaments ou pour payer les différents frais nécessaires aux soins.
À Madagascar, les ressources internes allouées à la santé ne représentent que 5% du budget général de l’État. Par ailleurs, selon un document publié par Health Policy Plus, une organisation américaine d’appui au secteur de la santé, « 80% du financement du secteur santé est apporté par les ressources externes ». « Par conséquent, la qualité de service en souffre car les ressources humaines pour la santé sont déficientes et distribuées inéquitablement et l’usage des services de santé est faible », indique le document, entre autres conséquences.
Pour améliorer l’accès aux soins, l’État malgache a élaboré une stratégie nationale pour la couverture de santé universelle (CSU) qui repose sur « un mécanisme qui vise à offrir un panier de services essentiels aux populations du secteur informel et aux pauvres ». Dans ce mécanisme, la mise en place d’une caisse nationale de solidarité pour la santé (CNSS) et d’un Fonds national de solidarité pour la santé (FNSS) est prévue.
La CNSS est notamment chargée de mettre en commun les contributions individuelles perçues, tandis que le FNSS collecte aussi bien les fonds publics ainsi que les dons privés et contributions des bailleurs. Il appartient ensuite à la CNSS de payer les prestataires de service et de prendre en charge les soins des plus vulnérables bénéficiaires du système. Lancé officiellement en 2018, ce système n’est pas encore tout à fait fonctionnel même si les contributeurs ont commencé à apporter leur soutien et même si des responsables de la CNSS ont déjà été nommés.
Fonds d’équité
Par ailleurs, Madagascar avait déjà mis en place en 2003 un système de protection sociale appelé « fonds d’équité » afin de permettre aux plus démunis d’avoir accès aux soins même s’ils n’ont pas les moyens de payer. Cette protection sociale devrait notamment bénéficier aux personnes de plus 60 ans, aux familles démunies ayant plus de cinq enfants, aux personnes vivant avec un handicap ainsi qu’aux sans-abris et aux patients en situation d’urgence. Elle est cependant sous-utilisée et ne couvre que 1% de la population, beaucoup de ses bénéficiaires en ignorent l’existence.
Certains connaissent l’existence de ce fonds, mais pour diverses raisons, hésitent à s’en prévaloir. « J’ai peur de me présenter pour demander de l’aide sur ce fonds », confie Nantenaina, lavandière. « Notre chef de fokontany n’est pas très accueillant, et semble plutôt réserver ce type d’avantages aux membres de sa famille », accuse-t-elle. Selon le Dr Manitra Rakotoarivony, il revient en effet « aux chefs de quartier de communiquer aux autorités la liste des personnes défavorisées au sein de leur circonscription de manière à ce que celles-ci puissent recevoir une carte de solidarité leur permettant de bénéficier d’une prise en charge en cas de maladie ». Mais « il faut pour cela une compréhension commune du mot démunie », poursuit le médecin.
Mais il peut aussi arriver que ce soit les citoyens eux-mêmes qui hésitent à approcher les responsables pour revendiquer leurs droits. Une étude sur le système de santé malgache et la prise en charge de la femme publiée en 2012 et réalisée par les étudiants de la Faculté de médecine de Genève mentionne que « certains citoyens nécessiteux rechignent à demander de l’aide de ce fonds, car ils doivent s’inscrire sur un registre public des personnes les plus pauvres de la commune et cela leur pose des problèmes légitimes de fierté et de stigmatisation ».
Par ailleurs, le registre des personnes les plus pauvres n’existe pas au niveau de certains fokontany. Un responsable de quartier avoue n’avoir jamais entendu parler du fonds d’équité. « Je croyais que vous êtes venus ici pour nous informer de l’existence de cette caisse sociale », affirme ce fonctionnaire. Un problème aux multiples sources dont la responsabilité revient à toutes les parties prenantes dans la société. « Je pense qu’il faudrait lancer le débat à la radio et à la télévision. Non seulement pour informer la population de l’existence d’une protection sociale qui leur est destinée, mais aussi pour permettre de discuter sur ce fonds en question », propose le Docteur Manitra Rakotoarivony.