L’esplanade d’Antaninarenina devient infréquentable. Sur les photos d’antan, on voit un jardin bien entretenu, pas l’ombre d’un marchand ambulant, des voitures bien alignées. Carte postale, me diriez-vous. Mais si, justement.
Carte postale d’une époque où la discipline régnait encore. Une longue éducation, patiemment inculquée et rigoureusement appliquée, avait fait que les gens respectaient l’ordre et la propreté. Propre chez soi, propre sur soi, propre et ordonné dans l’espace public.
Carte postale d’une époque où la rigueur ne tolérait pas qu’un parking pour dix voitures en accueille le double en quinconce, de travers, mais surtout n’importe comment. Aujourd’hui, c’est un spectacle navrant quotidien depuis l’ancienne place de la Pergola jusque devant Le Buffet du Jardin et les anciens Grands Magasins de Madagascar. Les taxis squattent la moitié des places et ne sont pas les derniers à faire fi du Code de la route, coupant en sens interdit directement depuis l’ancien Comptoir National d’Escompte, dont le dôme répondait à son homologue de l’actuelle banque BMOI, avant qu’une faute de goût qui a trouvé mécène ne ponde ce bâtiment sans personnalité.
Carte postale d’un bon vieux temps qui n’a pas connu sur l’esplanade d’Antaninarenina des stands de friperies cohabiter avec des étals d’huîtres sans aucun dispositif de refroidissement par un temps caniculaire. En attendant que tout le monde prenne plat auprès du marchand de «vary sy laoka» : de vrais «fatapera» qui brûlent du vrai charbon arraché à la forêt de l’Est. Le siège de l’Office National de l’Environnement est juste de l’autre côté de la rue.
En fin d’après-midi, les pavés de la place portent les stigmates bientôt indélébiles de la graisse que personne n’a pensé nettoyer. Il faut attendre la nuit pour que la place retrouve une tranquillité douteuse. Alors, l’esplanade, pourtant située dans l’exact prolongement du palais d’Ambohitsorohitra, dont elle est en quelque sorte le parvis, est plongée dans le noir, faute d’éclairage public. Une obscurité inquiétante et menaçante qui rend aventureuse une simple pérégrination vers Analakely et ses commerces nocturnes.
Jusqu’en 1895, un marché aux esclaves se tenait encore à Antaninarenina, quelque part à l’emplacement de l’ancien cinéma Roxy. Carte postale d’odeurs trop humaines, de bruits de pièces qui passent d’acquéreur à maquignon, de pleurs de familles qu’on sépare. Peu reluisant. C’est pourtant la pensée terrible qui me vient devant Antaninarenina qui dégénère en cloaque ordinaire du tiers-monde.