L’Europe et ses châteaux séculaires, l’Europe et ses palais centenaires, l’Europe et ses musées, l’Europe et ses grands théâtres, l’Europe et ses chefs d’œuvre d’architecture… Il y aurait tant à visiter, dans chaque ville de chaque pays, à l’occasion de journées européennes du Patrimoine.
Madagascar n’est pas l’Europe. Surtout que nous avons laissé incendier nos Rova ou oublié de réfectionner les routes qui conduisent aux sites historiques demeurés intacts. Mais, dans mon admiration envieuse, je rêve de journées du Patrimoine à Madagascar qui pourraient concerner un patrimoine unique, mais méconnu à force d’être banalisé. Il s’agit de la langue malgache, des langues de Madagascar, dont les spécialistes s’accordent à dire qu’elles appartiennent aux langues austronésiennes qui sont parlées en Indonésie, en Malaisie, à Brunei, aux Philippines, dans le Pacifique, et, comme langues minoritaires, à Taïwan, à Singapour, au Vietnam, au Kampuchea, en Thaïlande et en Birmanie. À Mayotte, l’île comorienne la plus proche de Madagascar, un tiers de la population parle des dialectes malgaches (cf. Karl Adelaar, «Les langues austronésiennes et la place du malagasy dans leur ensemble»).
C’est sur l’île de Kalimantan (anciennement Bornéo), en Indonésie, la deuxième plus grande île du monde, que les linguistes situent la langue la plus proche du malgache : le maanyan et les parlers du Sud-Est Barito, proche de la ville de Banjarmasin.
Rien que le paradoxe de «la Grande île de Madagascar, au large de l’Afrique, peuplée d’habitants physiquement si divers mais parlant tous une langue indonésienne» occuperait une belle exposition qu’on monterait sur chaque agora de chaque village de Madagascar. La présence à 4000 kilomètres de son foyer d’origine de cette langue qui est la nôtre sera expliquée à travers différents panneaux : géographie de l’Asie du Sud-Est ; reproduction des inscriptions anciennes en vieux malais de l’époque de Srivijaya ; carte des vents dans l’Océan Indien ; histoire de la pirogue à balancier (lakampiara) dont le prototype est gravé dans la pierre du temple de Borobudur à Java (Indonésie) et dont des exemplaires naviguent tous les jours sur les côtes occidentales malgaches ; photos des expéditions maritimes du Sarimanok (1986), de l’Amanna-Gappa (1991) et de celle de 2003 qui ont effectué la traversée Indonésie-Madagascar ; «album de famille» de faciès rencontrés chez les aborigènes de Taïwan ou les habitants de Sri Lanka ; hypothèses du peuplement de Madagascar : cette toujours «plus belle énigme du monde».