Les propriétaires des résidences dans le lotissement de Soavina avaient payé cher le droit d’un quant-à-soi tranquille, ordonné et propret. Ils ont fort logiquement et légitimement banni les taxibe de leur lotissement. N’entravant d’ailleurs aucune prétendue servitude de passage autre que celle du «hitsin-dalana» (couper court) doublé de «mamantam-bonona» (parasitisme). Dans aucun art, une file de taxibe ne pourrait être nominée à un concours de beauté paysagère. Aussi, dans leur paysage, les gens n’avaient pas voulu de moches taxibe, pilotés par des chauffeurs capables de porter une chemise-cravate sur un short et une paire de tongs. Leur paysage, ils n’avaient pas voulu non plus l’encombrer d’aide-chauffeurs dépenaillés, bruyants et envahissants. Bien sûr, d’un point de vue des «madinika», c’étaient de gros méchants riches racistes et ségrégationnistes.
Faute d’une politique démographique cohérente (entre planning familial et statistiques de sous-densité au kilomètre carré dans les no man’s land de l’arrière-pays), la population a augmenté sans maîtrise ni prévisions. Première fracture : les gens, qui ont préféré optimiser l’éducation longue d’une paire ou d’une triade d’enfants, n’ont pas contribué à ce boom démographique.
Cette population populeuse existe, cependant. Dans le cycle, qui peut devenir vicieux, d’un accroissement numérique inversement proportionnel aux revenus, à l’espace vital et aux ressources disponibles. Pour certains, la situation ne fait que s’aggraver depuis l’arrêté du 27 septembre 1896 abolissant l’esclavage sans mesures socio-économiques d’accompagnement. Le Résident général français, Hippolyte Laroche, auteur de l’arrêté (sic), estimait à 22.916 le nombre d’esclaves sur une population tananarivienne de 43.028 habitants : que sont leurs descendants devenus ? Plusieurs décennies de crise économique ont également laminé la classe moyenne et grossi les rangs du prolétariat : comment tous ces gens survivent-ils ?
Les véhicules à traction humaine, pousse-pousse ou charrettes à bras, ont opéré un retour massif ces dernières années. Ils encombrent une circulation automobile elle-même déjà saturée, et font désordre dans un paysage citadin. Si la modernité (automobile) et l’archaïsme (charrette) cohabitent déjà difficilement, la situation peut dégénérer en confrontation ouverte de classes sociales antagonistes : bourgeoisie contre prolétariat, «mpanan-karena» versus «madinika». Deuxième fracture.
La solution n’est pas aussi simpliste que l’abrogation hâtive et «pirate» (un télégramme ministériel du 25 septembre avait enjoint Laroche de transmettre ses pouvoirs) de 1896, d’ailleurs dénoncée par le général Gallieni dès qu’il s’installa comme Gouverneur Général. On ne fera pas disparaître les charrettes d’un arrêté péremptoire. Derrière, il y a la réalité, quotidienne, de familles entières qui vivent d’expédients, toujours préférables d’un point de vue «sécuritaire», aux rapines. La solution durable, et pas rapide, est à trouver en amont des charrettes, récifs contondants de l’iceberg social malgache.