Le football, décidément, mène à tout. Révision d’histo-géo voire introduction géopolitique (cf. Antranonkala, «Dessine-moi l’Europe-UEFA», 21 novembre 2019, 2424.mg). Exutoire à tant de passions. Dérivatif salutaire à la violence querelleuse. Exaltation d’exploits par procuration. Le retour de José Mourinho en Premier League, à la tête de Tottenham, crée un délicieux drame qui fait le foot tellement à notre image : appétence de revanche, petites jalousies, grosse hypocrisie, fausse modestie, formidable ego. Le spectacle permanent de la comédie humaine. Mourinho, ce sera Tottenham-West Ham de ce samedi. Et un championnat qui ronronnait dans le mano a mano Klopp-Guardiola, sort de sa léthargie. Les bookmakers s’activent : le miracle «Special One» aura-t-il lieu ?
Un match de football dure 90 minutes. Mais, plus si affinités. 96ème minute, d’un match de la onzième journée : Watford rate une égalisation miraculeuse, à domicile. Et Chelsea sauve les trois points de la victoire. Sans les multiples sauvetages de son goal Ben Foster, Watford aurait déjà trois buts de retard et le «Money Time» n’aurait été qu’anecdotique. Mais, voilà qu’au bout du bout du temps additionnel, sur le coup-franc de la dernière chance, le dernier rempart devient avant-centre dans la surface adverse. Et l’inimaginable faillit se produire : Ben Foster dévie de la tête, mais son homologue Kepa Arrizabalaga sauve sur sa ligne. Coup de sifflet final. Les deux gardiens de buts qui tombent dans les bras l’un de l’autre restera une image forte de cette fin de match subitement épique.
Chelsea et Watford sont deux clubs de la même ville, Londres. La capitale anglaise ne compte pas moins d’une dizaine de clubs professionnels, une densité footballistique unique au monde avec des derbys à chaque coin de rue : Chelsea vs. Fulham, Fulham vs. Queens Park Rangers, Tottenham vs. Arsenal, Millwall vs. West Ham, Charlton vs. Crystal Palace.
Pourtant, si Londres est une ville de football, elle l’est moins de trophées footballistiques. Certes, depuis les années 2000, le «Big Six» est à moitié londonien (avec Chelsea, Arsenal et Tottenham), mais les stades anglais furent longtemps le théâtre de la revanche des villes ouvrières du Nord : près de quarante titres nationaux entre Manchester United (20) et Liverpool (18), voire Nottingham Forest (1), qui avaient déjà gagné dix fois la Ligue des Champions de l’UEFA avant qu’un club londonien, Chelsea, n’y parvienne en 2012.
Si les supporters de Chelsea, d’Arsenal ou de Tottenham, peuvent parfois se permettre de rêver, ceux de Watford, de tous les Watford, ces clubs qui vivotent dans l’anonymat du ventre mou du championnat ou jouent l’ascenseur entre l’élite et la division inférieure, se désillusionnent chaque week-end de match. Ce qui ne les empêche pas d’être fidèles au rendez-vous et de renouveler leur abonnement au club. De père en fils, ils portent fièrement des couleurs et les armes d’un blason d’eux seuls connu. Miracle footballistique d’un fort communautarisme : appartenance de classe et identification géographique, grégarisme et chauvinisme.
Crystal Palace doit son nom aux ouvriers qui construisirent le Crystal Palace, un palais d’expositions de la fin du XIXème siècle ; Millwall reste le club historique des dockers londoniens et dans les années 1960s, le coup d’envoi était différé pour leur permettre de rallier le stade après le travail ; West Ham arbore sur son blason deux marteaux croisés, outils des ouvriers qui battaient l’acier à l’époque industrielle ; le surnom «Gunners» d’Arsenal est l’héritage de sa création par les ouvriers des manufactures d’armes et de munitions de Woolwich…
Quand ces Gunners d’Arsenal, poussés par leurs fans irlandais catholiques, affrontent les Spurs de Tottenham, dont les fans se recrutent dans la communauté juive, c’est le «derby du Nord de Londres». Le «derby d’Angleterre», c’est THE match qui oppose Manchester United (20 titres de champion) à Liverpool (18 titres). Ce derby, entre deux villes du Nord-Ouest de l’Angleterre, distantes de 50 km, est suivi dans 211 pays dans le monde : davantage que le classico Real Madrid-FC Barcelone. Révision d’histoire : à un moment de l’histoire, la Reine d’Angleterre régnait sur un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.